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8 janvier 2008

La prison après la prison ?

C'est aujourd'hui que s'ouvre à l'assemblée nationale la discussion du projet de loi "sur la déclaration d'irresponsabilité pénale et la rétention de sûreté", défendue par Rachida Dati, ministre de la justice.

I - Concernant le volet sur l'irresponsabilité pénale, je vais rapidement "évacuer" le problème, qui ne devrait pas en être un d'ailleurs.
Rappelons qu'il s'agit de faire en sorte qu'un non-lieu ne puisse être déclaré sans audience, et donc qu'un procès ait lieu systématiquement, même dans le cas où les experts psychiatres concluent à l'irresponsabilité mentale du justiciable.
Je suis tout à fait d'accord sur le principe, sous une réserve et à deux conditions.

Ma réserve concerne le but affiché de cette réforme : "faire en sorte que les victimes puissent faire leur deuil grâce au procès". Je m'inscris en faux contre cette idée que je trouve tout bonnement ridicule. La sanction pénale est une affaire entre la justice et le justiciable ; elle a valeur d'exemple pour les autres citoyens, et ne concerne en aucune manière les victimes ou leurs ayant-droits. Je suis régulièrement scandalisé quand j'entends les parties civiles commenter la sanction pénale à la fin d'un procès : cela ne les regarde pas : le rôle de l'institution judiciaire n'est pas d'assouvir les désirs de vengeance des victimes ou de leurs familles !...

Mes deux réserves maintenant :

  1. Le procès s'il a lieu, et je pense qu'il doit avoir lieu en effet, ne doit avoir d'autre but que, d'une part constater, en audience publique et après audition des experts, l'irresponsabilité pénale de celui qui n'est pas encore accusé et qui ne doit pas l'être au sens du code pénal, et d'autre part permettre la constitution des parties civiles dans le but de déterminer le préjudice subi au civil.
  2. Aucune sanction pénale ne doit être prononcée, même de principe. En France, on ne condamne pas les gens pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils ont fait de légalement répréhensible. Or, un malade mental ne peut être, par définition, tenu pour responsable de ses actes...

II - Concernant la rétention de sûreté

Le projet de loi prévoit que, à l’issu de leur peine, certains pédocriminels jugés particulièrement dangereux puissent être maintenus enfermés dans des centres de rétention de sûreté.
La rétention de sûreté devrait s’appliquer aux personnes condamnées à une peine de prison de quinze ans ou plus pour un crime à caractère pédophile. Leur dangerosité serait évaluée après expertise psychiatrique par une commission pluridisciplinaire. Trois magistrats décideraient ensuite de la rétention, pour une durée d’un an renouvelable, dans un "centre socio-médico-judiciaire".

Que penser de ce projet de loi ? J'avoue que j'ai dû y réfléchir un certain temps avant de prendre position sur le sujet. En effet, l'affaire est d'importance en terme de droit, puisqu'il s'agit tout simplement de prolonger administrativement la peine d'enfermement prononcée "au nom du peuple français" par la Cour d'Assises. Rien que ça !...

Mais l'affaire ne s'arrête pas là. En France, et depuis la Révolution, on prononce des peines de prison à l'encontre des justiciables pour ce qu'ils ont fait et non pas pour ce qu'ils sont. Or ici, on se prépare à prononcer une "double peine" d'un nouveau genre, en raison de la personnalité du coupable, et plus seulement en raison de ses actes. C'est très grave en démocratie... A tel point que Robert Badinter, ancien garde des sceaux et constitutionnaliste réputé, le père de l'abolition de la peine de mort en France, et que je respecte personnellement beaucoup, pour cette raison mais pas seulement, malgré ses convictions politiques tout à fait éloignées des miennes, s'en est ému publiquement hier au journal de 20 heures de France 2.

On me répondra qu'en Allemagne notamment, ce principe est appliqué depuis longtemps et que ce pays-là a en effet un taux de récidive dans cette catégorie de crimes bien inférieur au nôtre. C'est évident : si vous mettez en prison tous les individus potentiellement dangereux, vous obtiendrez mécaniquement une baisse de la criminalité ! Mais où est la morale dans tout ça ? La législation allemande dont on parle ici date de 1934 et donc de la période qui a amené un certain Adolph Hitler au pouvoir, ce n'est pas faire injure à nos amis allemands, mais il n'est peut être pas inutile néanmoins de le rappeler.

Il n'en demeure pas moins que la récidive en matière de crimes sexuels est un très gros problème qu'il faut traiter efficacement, j'en suis parfaitement d'accord tant avec Rachida Dati qu'avec le Président de la République, qui est le véritable instigateur du texte.

Cependant, et si l'on tient à prendre exemple sur nos voisins, alors pourquoi ne pas regarder du côté du Bénélux, où d'autres mesures beaucoup plus démocratiques, et à mon sens tout aussi efficaces pour peu qu'on les mette en pratique sérieusement et avec les moyens nécessaires, sont en vigueur.
De quoi s'agit-il ? Tout simplement du suivi médico-psychiatrique de tous les détenus, et pas seulement les pédocriminels, durant la durée normale de leur détention, et pas seulement au moment de leur sortie...
Et ceux d'entre eux chez qui on décèle des troubles psychiatriques sont soignés dans des hôpitaux fermés, pendant toute la durée nécessaire à leur traitement.

Mais je pense sincèrement que la France est une nation de suffisamment bon sens pour trouver en elle-même des solutions à la fois démocratiques, respectueuses des principes du droit, et parfaitement efficaces.

Ainsi, je propose pour ma part :

  1. D'effectuer en effet, au bénéfice de tous les prisonniers condamnés pour des crimes sexuels (et pas seulement les pédophiles, et pas seulement pour les condamnés à plus de 15 ans, et pas seulement si la victime a moins de 15 ans), un suivi médical et psychiatrique destiné à recenser dès l'incarcération les troubles mentaux, la dangerosité et les risques potentiels de récidive à leur sortie de prison.
  2. Pour les malades ainsi détectés, instituer un traitement médical obligatoire en milieu hospitalier fermé, de la durée nécessaire à leur guérison, et même évidemment si cette durée devait dépasser le terme normal de leur peine de prison.
    Ce serait néanmoins très différent du projet de centres de détention de sûreté, puisque d'une part le traitement débuterait possiblement dès l'incarcération, et que d'autre part il s'agirait d'hôpitaux et pas de prison, avec toutes les différences que cela comporte en terme de conditions de vie.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu'en matière de psychiatrie encore bien moins que dans les autres domaines de la médecine, l'art du diagnostique n'est pas une science exacte. Le pronostique de la récidive d'un individu pervers sexuel est tout bonnement impossible, aux dires mêmes des experts psychiatres.
Si l'on demande aux seuls experts de prendre la responsabilité de la remise en liberté d'un ex-détenu, on ne trouvera personne pour assumer cette responsabilité tant que le praticien qui l'aura endossée pourra se le voir reprocher ultérieurement, en cas de récidive. La seule chose que l'on pourra lui demander, c'est un simple avis médical, à charge pour les juges et eux-seuls de prendre ensuite l'entière responsabilité de la remise en liberté.
Il faudra également bien faire comprendre, et clairement, au public, que le risque zéro n'existe pas, et que cette procédure n'est pas, et de loin, une garantie absolue, mais qu'elle ne constitue qu'une mesure de précaution.

Du point de vue de la garantie nécessaire des libertés individuelles, qui doit s'appliquer à l'égard des condamnés de droit commun comme à l'égard de tous les autres citoyens, d'une part le suivi médical et psychiatrique envisagé n'est absolument pas assimilable à une sanction pénale, et d'autre part la liberté des potentielles futures victimes de l'individu concerné n'est pas moins respectable que la sienne propre...

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