Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ce que je crois...
Archives
16 juin 2008

La construction d'une démocratie doit-elle être démocratique ?

Voilà, peut-être, une question intéressante. C'est vous, chers lecteurs, qui me le direz. En tout cas elle m'intéresse personnellement au plus haut point.

Vous l'aurez compris, cette question, je me la pose au sujet de ce "non" irlandais qui empoisonne tout le monde, sauf les opportunistes à la De Villiers ou à la Le Pen, ou à d'autres "nonistes" de 2005 encore, que je n'aurais pas encore entendus.

Le problème que pose ce "veto" que nos amis irlandais opposent au traité de Lisbonne est de plusieurs ordres, mais se résume à la pertinence d'un principe.

A) Les différents aspects du problème d'abord

1) Aux termes du traité de Nice, en vigueur aujourd'hui, la règle de l'unanimité est quasi absolue, et en tous cas l'adoption du nouveau traité, celui dit de Lisbonne, doit être ratifiée par les 27 pays membres sans aucune exception. Cela signifie que la non-ratification par Dublin précipite de droit ce nouveau traité à la poubelle. C'est ce qui s'était passé en 2005 avec les "non" français et hollandais au projet dit "de constitution".

2) Mais l'Irlande compte 4,5 millions habitants, l'Union Européenne 495 millions. Peut-on considérer qu'il est "normal" que moins de 1 % des Européens bloquent tout le processus ? Ce blocage est légal, en fonction des traités en vigueurs, il n'est à l'évidence pas démocratique du tout.

3) Autre côté non négligeable du problème posé : ses conséquences, et en premier lieu le maintien d'un statu quo où presque toutes les prises de décision "au long cours" sont bloquées par des institutions où il suffit qu'un seul pays refuse pour que rien ne soit possible. C'est justement l'un des points les plus concrets du projet de traité de Lisbonne que de proposer une solution à ce problème rédhibitoire. On est donc en face d'un cercle vicieux : c'est le problème à régler qui est la cause principale de l'absence de solution à ce problème...

B) Le principe qui en est la cause maintenant : la démocratie.

Je suis un démocrate convaincu, et je considère que l'Etat n'a de légitimité qu'issue de la "volonté du peuple" comme dirait Mirabeau.

Mais l'Union Européenne n'est pas (encore) un état, pas même une nation. Doit-on dans ces conditions considérer qu'elle est une démocratie ? Je ne le pense pas. Et d'ailleurs, ses institutions elles-mêmes ne sont pas démocratiques, avec un Parlement qui n'a pas le vrai pouvoir législatif, un pouvoir exécutif qui n'est pas responsable devant ce Parlement, et un pouvoir judiciaire qui n'est encore qu'embryonnaire. Comment et pourquoi, dans ces conditions, vouloir lui appliquer les règles d'une démocratie constituée ?

On m'opposera, bien sûr, que chacun des pays membres est une démocratie, et que donc la ratification des traités européens doit de ce fait répondre aux règles démocratiques qui y sont en vigueur. Le raisonnement se tient, mais force est de constater que ça ne marche pas...

Si on avait soumis le traité de Rome à la ratification par référendum des 6 peuples concernés d'alors, il y a très gros à parier qu'il n'aurait jamais vu le jour.

Et si on remonte beaucoup plus loin encore, peut-on vraiment envisager que les Révolutionnaires de 1789 eussent conquis le pouvoir contre le roi si le peuple avait été largement consulté ? Certainement pas !

Cela signifie que "par la volonté du peuple", non seulement la Communauté Européenne, devenue depuis l'Union du même nom, n'aurait jamais vu le jour, mais encore la République Française, héritière chaotique de la Révolution, n'existerait sans doute pas non plus...

Qu'est-ce qui a permis leur avènement ? L'intérêt commun et la nécessité. Rien d'autre, et par la volonté des dirigeants, pas du peuple !

Et bien je prétends qu'il en va de même aujourd'hui de l'Europe. Pas seulement celle qui existe et qui ne fonctionne pas, mais celle qui reste à construire et qui doit, sous peine de plonger ses habitants dans la dépendance économique et politique, devenir cette grande puissance capable de rivaliser avec le reste du monde.

Les Européens, dans leur très grande majorité, ne sont pas contre la construction Européenne. Ils ont simplement peur d'y perdre leur identité, et pour certains leurs privilèges. Les deux risques sont totalement illusoires, mais leur ressenti est bien réel.

Une fois l'Europe valablement constituée, il faudra en faire une vraie démocratie, et ce sera le rôle du peuple européen de la bâtir. Mais les Européens d'aujourd'hui, trop mal informés, ne sont pas suffisamment convaincus par l'idée, et sont trop sur leurs gardes, pour franchir un pas dont ils ne comprennent pas l'importance et l'urgence. Il faut le faire pour eux, même si cela peut heurter certaines consciences.

Espérons que les 26 autres pays sauront trouver la solution au problème posé par ce vote négatif, que dans le meilleur des cas les Irlandais eux-mêmes, par un moyen ou par autre, reviendront sur leur décision, ou qu'on saura passer outre, quitte à leur attribuer un statut particulier. Après tout, il y a des précédents : le Royaume Uni par exemple sur certains points. Mais il faut le faire vite. Le monde n'attendra pas que nous soyons capables de relever les nombreux défis qu'il nous lance, et qu'aucun pays membre, isolément, ne peut assumer...

Publicité
Commentaires
J
Je me suis donc permis de reproduire là-bas votre réponse d'ici.<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> jf.
R
@ Titophe<br /> <br /> Vous avez raison de dire qu'on met la charrue avant les boeufs. Mais c'est depuis le traité de Rome (et même peut être avant) qu'on aurait dû faire la pédagogie qu'on n'est toujours pas capable de faire aujourd'hui ; et aujourd'hui le temps presse si nous voulons que cette Europe Unie nous protège, même si c'est trop peu, contre la mondialisation et ses effets désastreux, présents et à venir, sur les économies trop faibles, dont les nôtres (les 27 notamment). Alors il faut la faire, cette Europe ! Avec ou sans l'impossible unanimimité des peuples.<br /> <br /> @ Jacques<br /> <br /> J'avais lu votre article sur votre bloc-notes avant votre commentaire, et je me préparais à y répondre. Puisque vous m'interpelez ici, je vous réponds ici.<br /> <br /> Je ne vois pas bien ce qu'il y a de lamentable là-dedans. C'est en 2005 que les autres pays n'auraient pas dû se soucier de la France ni des Pays Bas. Je pense sincèrement que l'Europe aurait perdu moins de temps. Simplement, la France est historiquement un des pilliers moteurs de l'Union, et c'est en grande partie pour ça que les autres se sont arrêtés. Ils ont eu tort, et je ne maintiens mot pour mot mon billet.<br /> <br /> Il faut continuer. Et aboutir. Avec ou sans Dublin. Ils nous rejoindront plus tard. S'ils le veulent...<br /> <br /> A bientôt.
J
Vous pouvez lire aussi:<br /> <br /> http://lamauragne.blog.lemonde.fr/2008/06/17/pourquoi-tant-darrogance-envers-lirlande/<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> jf.
T
Intéressant billet, qui appelle une réflexion allant au-delà de la problématique européenne.<br /> <br /> Regardons ce qui se passe en Irak, ou des démocraties ont voulu exporter leur modèle de gouvernance. Celà ne marche pas, car les composantes culturelle et sociologique n'étant pas considérées, la démarche manque cruellement d'holistisme.<br /> <br /> La démocratie est dans les esprits avant d'être dans les faits, et non le contraire. Vivre démocratiquement, c'est pour chacun l'acceptation de perdre, de se retrouver, à un moment ou un autre, dans une position minoritaire. Vivre démocratiquement, c'est considérer que le respect des règles a plus de valeur qu'une victoire ponctuelle sur tel ou tel sujet.<br /> <br /> Vivre dans une société non démocratique est une école extraordinaire pour l'apprendre et savoir apprécier à sa juste valeur la complexité parfois proche de la cacophonie, il est vrai, d'une société démocratique dans laquelle le respect de chacun, des règles et des engagements est un principe inaliénable. Sortir de "l'Etat de droit" en fait prendre conscience très vite. J'en ai fait l'expérience.<br /> <br /> Pour ce problème purement Européen, le travail de fond sur le sentiment communautaire n'est pas terminé. C'est, je pense, la raison majeure pour laquelle un alignement institutionnel est systématiquement contré, par manque d'alignement culturel et sociologique.<br /> <br /> Définissons d'abord nos valeurs communes (économie? social? etc...), et ensuite institutionnalisons les. Pas l'inverse.
R
Bonjour Lomig,<br /> <br /> Je n'ai pas dit que l'Europe qui se construit en ce moment dans la douleur, est l'Europe que je souhaite. Il y aurait beaucoup à en dire, et ce n'était pas mon propos.<br /> <br /> Concernant simplement l'aspect que tu soulèves, et le fait que cette Europe là doit rester (ou devenir ?) libérale, je suis bien évidemment d'accord avec toi. Et les réglementations communautaires sont abusivement normalisatrices en effet.<br /> <br /> Sur la fiscalité toutefois, je ferai une remarque : tant que l'Europe n'est qu'un assemblage d'états-nations indépendants, je suis en effet pour le respect de la liberté de chacun d'eux de fixer sa propre fiscalité. Mais mon idée de l'Europe est fédérale. Et dans ce cadre, je pense qu'une certaine harmonisation s'imposera d'elle-même. Peut-être pas dans tous les domaines.<br /> <br /> Pour en revenir aux Irlandais, je ne suis pas certain que le raisonnement qui a conduit à leur votre négatif soit aussi réfléchi que ça. Si tu as raison et si c'est pour demeurer libéraux qu'ils l'ont exprimé, alors c'est sans doute inconsciemment. Je pense plutôt qu'ils ont peur de perdre leur identité, comme je l'ai dit dans mon billet et comme c'est le cas pour une majorité d'Européens, et de se retrouver fondus dans une sorte de magma qu'ils ne comprennent pas.<br /> <br /> Je maintiens qu'il faut la faire, cette Europe, et au besoin sans processus démocratique. Ce n'est qu'ensuite qu'on pourra parler d'une démocratie que l'on pourra mettre en oeuvre dans la nouvelle entité ainsi créée.<br /> <br /> A bientôt.
Publicité
Catégories
Derniers commentaires
Ce que je crois...
Newsletter
Publicité